Il existe des histoires si belles qu’elles méritent d’être notées sur une serviette en papier, puis glissées dans un roman. Celle-ci commence avec un homme qui aime tellement les Porsche qu’il les démonte, les réinvente et les habille de carbone – à un tel point que Ferdinand Porsche lui-même applaudirait depuis sa tombe. Il s’appelle Rob Dickinson, est britannique, ancien musicien et spécialiste Porsche.

Dans le CV de cet homme, on peut lire qu’il a entrepris dans sa vie plus de choses que d’autres en trois ans d’existence. En effet, il est l’ancien leader du groupe shoegaze « Catherine Wheel » et cousin d’un certain Bruce Dickinson (oui, celui qui a une voix capable de faire exploser des avions et qui a depuis longtemps fait fortune en tant que leader du groupe heavy metal « Iron Maiden »). Aujourd’hui, Rob Dickinson est propriétaire de « Singer Vehicle Design », une manufacture basée à Los Angeles dont la mission est aussi simple que mégalomane : pousser la Porsche 911 (type 964) à la perfection. Ici, on applique la devise : « Tout est important ». Et on le pense vraiment. Aucune vis ne reste à sa place. La Porsche reçoit une carrosserie en carbone, un moteur boxer amélioré par Cosworth et un châssis qui ressemble davantage à de la haute couture qu’à de l’ingénierie. Le prix ? Disons simplement que ceux qui le demandent ne peuvent de toute façon pas se l’offrir.

Changeons maintenant de décor. Sandra Stillhart, peintre, passionnée d’automobiles et compagne de Francesco Greco, directeur de l’atelier de carrosserie « Greco » à Sirnach (TG), se rend en Californie avec Francesco. Ils flânent dans la « Citée des Anges », humant l’air marin et le smog, rêvant à ce qu’ils pourraient y faire. Et puisqu’ils ils sont là, ils décident spontanément de passer chez Singer. Sans rendez-vous. Sans invitation. Juste avec leur curiosité et une casquette vissée sur la tête.

Seamus Taaffe, chef d’atelier et irlandais au charme irrésistible, observe les deux visiteurs. La casquette de Greco semble lui plaire – après tout, lui aussi en porte une, tout comme Dickinson. Était-ce coïncidence ? Francesco est sûr : « La casquette a fait tilt. » Et soudain, Sandra et Francesco se retrouvent au milieu de 911 rutilantes qui semblent avoir été taillées sur mesure pour James Bond en personne.

De retour en Suisse, Sandra retranscrit ses impressions non pas à l’aide d’un tournevis et d’une clé dynamométrique, mais avec un pinceau et une palette. Il en résulte deux toiles monumentales qui représentent des portraits de Porsche pleins d’énergie, avec des dégradés de couleurs qui rappellent les couchers de soleil à Venice Beach et des lignes aussi nettes que celles d’une GT3 RS sur la boucle nord du Nürnburgring.

Beaucoup plus tard, tout le monde se retrouve à l’hôtel Kempinski de Genève. Sandra, avec ses deux œuvres sous le bras. Dickinson est curieux. Il s’approche des deux tableaux et reste immobile un instant. Il observe les détails, passe son doigt presque avec déférence sur les surfaces colorées. Puis il sort son crayon et signe les deux tableaux, comme s’il s’agissait de deux Singer 911 qui viennent d’atteindre la dernière étape de leur fabrication.

Francesco déclare plus tard avec ironie : « Heureusement que je portais ma casquette. » Et Sandra rit – comme seul peut rire celui qui a appris que dans la vie, il suffit parfois d’un peu d’audace et d’un bon accessoire pour que les portes s’ouvrent.